COMMUNIQUÉ DE PRESSE
L’Association vaudoise des Familles Monoparentales et Recomposées ainsi que l’Association vaudoise pour les Droits des Femmes ont déposé un recours devant la Cour constitutionnelle du Canton de Vaud contre l’art. 277m LI adopté le 29 avril 2025 qui supprime la solidarité fiscale entre (ex)époux pour tous les montants d’impôts encore dus mais uniquement pour les couples qui vont se séparer dès 2026. Le recours vise à suspendre toutes les procédures actuellement en cours (taxation, poursuite ou recouvrement) et à ouvrir la voie de la révision pour les victimes (97 % de femmes) ayant été appelées en solidarité sur la base d’une loi qui viole la Constitution (art. 14 al. 1 LI dans sa teneur actuelle).
Le Grand Conseil a adopté le 29 avril 2025 l’art. 277m LI qui met fin à la responsabilité solidaire en cas de séparation/décès pour tous les impôts cantonaux et communaux encore dus et nés durant la vie commune mais UNIQUEMENT pour les couples qui vont se séparer dès 2026. Pour tous les couples qui se sont séparés avant 2026, le nouvel art. 277m LI maintient la solidarité fiscale qui est discriminatoire à l’égard des femmes comme en attestent les chiffres officiels communiqués par le gouvernement vaudois (97 % des victimes de poursuites «solidaires» sont des femmes). En tant qu’il maintient sans justification une discrimination indirecte avérée et grave, formellement interdite tant par la Constitution que par les traités internationaux ratifiés par la Suisse1art. 8 et 13 Cst. ; art. 8 et 14 CEDH, l’art. 277m LI porte lourdement atteinte aux droits fondamentaux des victimes. Cette atteinte est si lourde que l’art. 277m LI viole en outre le principe constitutionnel de l’imposition selon la capacité contributive et de la garantie de la propriété2art. 26, 36 al. 4 et 127 Cst.. Ces motifs commandent la suspension de toutes les procédures en cours et la révision3art. 203 Motifs
1 Une décision ou un prononcé entré en force peut être révisé en faveur du contribuable, sur sa demande ou d’office :
a. lorsque des faits importants ou des preuves concluantes sont découverts;
b. lorsque l’autorité qui a statué n’a pas tenu compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître ou qu’elle a violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure;
c. lorsqu’un crime ou un délit a influé sur la décision ou le prononcé. des taxations entrées en force de ces dix dernières années4art. 204 in fine LI. en tant qu’elles sont fondées sur une loi (art. 14 al. 1 LI dans sa teneur actuelle) fondamentalement inconstitutionnelle et donc illégale.
Cela fait plus de 15 ans que le Canton de Vaud pourchasse les femmes divorcées ou séparées pour les forcer à payer les dettes d’impôts de leur (ex)mari. Ainsi, une femme peut se retrouver, même de nombreuses années après la séparation ou le divorce, à devoir payer les dettes d’impôts de son ex, qu’elle ait été mariée sous le régime de la séparation de biens ou non.
Les données officielles communiquées par le Conseil d’Etat en 20245Réponse du Conseil d’Etat au Grand Conseil à la simple question Muriel Thalmann – Co-solidarité fiscale – combien de cas dans le canton de Vaud ? (23_QUE_36) – Texte adopté par CE – R-CE QUE Thalmann 23_QUE_36 – publié confirment ce que dénonce Me Yves Noël6Avocat fiscaliste et Professeur de droit fiscal à l’Université de Lausanne 6 depuis 2014 : « le système vaudois du maintien de la solidarité fiscale après la séparation des conjoints viole l’art. 8 al. 2 Cst. parce que la majeure partie des personnes appelées en solidarité sont des femmes »7Arrêt TF 2C_723/2015, consid. 4.. Les chiffres enfin obtenus 10 ans plus tard, après de multiples démarches et recours, sont édifiants : sur 525 poursuites « solidaires »8Le logiciel de perception de l’Administration Cantonale des Impôts (ACI) recense une poursuite « solidaire » lorsque la réquisition de poursuite est requise contre le second membre du couple « appelé en solidarité ». adressées entre 2019 et 2021 à des personnes séparées ou divorcées (162 en 2019, 173 en 2020 et 190 en 2021), 510 touchent des femmes, soit 97% de femmes. Il est désormais avéré et documenté que le système vaudois qui maintient une solidarité fiscale après la séparation frappe quasi exclusivement des femmes, que la loi est discriminatoire9Il y a discrimination indirecte fondée sur le sexe lorsqu’une loi, « apparemment neutre » touche de manière disproportionnée des personnes d’un sexe donné. Humanrights.ch- Solidarité fiscale entre (ex)époux: la loi vaudoise discrimine les femmes, inconstitutionnelle et illégale.
Ces chiffres confirment de façon éclatante ce qui ressort des arrêts concernant la solidarité fiscale : dans tous les litiges judiciaires identifiés, les impôts impayés à la séparation du couple concernent des arriérés d’impôts sur des revenus encaissés par l'(ex)époux et/ou des rappels d’impôts consécutifs à une fraude fiscale dont l'(ex)époux s’est seul rendu coupable ou pour laquelle il a seul été condamné pénalement.
ll n’est guère contestable que l’Administration cantonale des impôts (ACI) disposait depuis toujours de toutes les données statistiques requises permettant de démontrer I’existence d’une grave discrimination à l’encontre des femmes10Dans sa réponse du 19 mai 2021, le Conseil d’Etat a affirmé que l’Administration cantonale des impôts ignore lequel des époux s’est acquitté du montant dû et qu’en l’absence d’appel en solidarité à proprement parler, elle n’est pas en mesure de fournir la statistique demandée .Ces propos interpellent car il ressort clairement de plusieurs arrêts qu’une décision d’appel en solidarité a bel et été prononcée ou confirmée à l’encontre de l’épouse. En outre, il ressort de plusieurs documents que le fisc sait pertinemment bien à qui il adresse les commandements de payer, les séquestres de comptes bancaires, les attestations d’insuffisance de gage et quels sont les montants en capital et intérêts qu’il réclame à l’épouse en application de l’art. 14 al.1 LI.. C’est très certainement à dessein que l’ACl a refusé de les publier et a déployé des efforts considérables pour ne pas les produire . L’autorité cantonale n’a pas agi de bonne foi et était parfaitement consciente des risques liés à la publication des statistiques demandées. Et c’est très certainement pour éviter des recours et des procédures de révision que I’ACI et le gouvernement1124_LEG_107 – EXPOSE DES MOTIFS ET PROJET DE LOI modifiant la loi du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux (LI) relative à la fin de la responsabilité solidaire en cas de séparation/décès pour les impôts, cantonaux et communaux, impayés nés durant la vie commune., se refusent toujours (!), en dépit de l’évidence, à admettre l’existence d’une discrimination, à l’exception de la ministre des finances sortante Valérie Dittli qui s’est félicitée le 2 avril 2025 d’avoir « abrogé cette pratique discriminatoire ».
Alors que les débats parlementaires font largement écho du caractère discriminatoire de la solidarité fiscale12voir Bulletin du Grand Conseil du 13 juin 2023; Bulletin du Grand Conseil du 1er avril 2025., que plusieurs député(e)s ont expressément admis que « l’État a fauté et qu’il doit prendre ses responsabilités », le Grand Conseil s’est malheureusement arrêté au milieu du gué en adoptant I’art. 277m Ll car il a omis de supprimer la discrimination dont sont déjà victimes les femmes séparées ou qui vont se séparer avant le 31 décembre 2025, Elles continueront à être frappées pendant des années encore par une loi qui porte lourdement atteinte à leurs droits fondamentaux13garantis par notre Constitution et les traités internationaux : CEDAW RS 0.108, CEDH RS 0.101, ICCPR RS 0.103.2..
L’Association vaudoise pour les droits des femmes (ADF) et l’Association vaudoise des familles monoparentales et recomposées (AFMR) ont activement œuvré pour déposer des amendements14Amendements M. Thalmann et O. Gafner, Bulletin du Grand Conseil du 1er avril 2025 et du 8 avril 2025. visant à supprimer la solidarité fiscale entre (ex)époux pour toutes les procédures encore ouvertes et à permettre aux victimes dont le dossier est clos de demander le réexamen d’une taxation fondée sur une loi discriminatoire et illégale.
Le maintien de la solidarité fiscale entre époux séparés antérieurement à 2026 constitue une discrimination indirecte à l’encontre des femmes, désormais documentée par des statistiques officielles fournies par le gouvernement vaudois lui-même. Les deux associations ont déposé un recours pour supprimer cette discrimination pour toutes les procédures encore ouvertes et pour ouvrir la voie de la révision (art. 203 LI) afin de corriger les effets d’une taxation confiscatoire.
Lausanne, le 12 juin 2025