Pour l’application rétroactive de la fin de la solidarité fiscale
Par Birgit Myle
Article publié le 17 Mar, 2025

Pro Familia Vaud, l’Association des Familles Monoparentales et Recomposées ainsi que l’Association pour les Droits des Femmes revendiquent l’application rétroactive au 1er janvier 2014 de la fin de la solidarité fiscale, qui touche à 97 % les femmes.

Le Grand Conseil devrait mettre fin, ce mardi, à la responsabilité solidaire en cas de séparation/décès pour tous les impôts cantonaux et communaux encore dus et nés durant la vie commune. L’entrée en vigueur de cette loi est prévue pour le 1er janvier 2026, avec effet rétroactif au 1er janvier 2025. Pro Familia Vaud, l’Association des Familles Monoparentales et Recomposées (AFMR) ainsi que l’Association pour les Droits des Femmes (ADF) demandent instamment la rétroactivité dès 2014, moment où la discrimination indirecte à l’égard des femmes a été dénoncée pour la première fois.

Cela fait plus de 15 ans que le canton de Vaud exige des femmes divorcées ou séparées de payer les dettes d’impôts de leur (ex)mari. Ainsi, une femme peut se retrouver, même de nombreuses années après la séparation ou le divorce, à devoir payer les dettes d’impôts de son ex, qu’elle ait été mariée sous le régime de la séparation de biens ou non.

Les données officielles communiquées par le Conseil d’Etat en 2024[1] confirment ce que dénonce en vain Me Yves Noël[2] depuis 2014 : « le système vaudois du maintien de la solidarité fiscale après la séparation des conjoints viole l’art. 8 al. 2 Cst. parce que la majeure partie des personnes appelées en solidarité sont des femmes »[3]. Les chiffres obtenus 10 ans plus tard, après de multiples démarches et recours, démontrent que les poursuites « solidaires »[4] touchent dans 97% des cas les femmes[5], que la loi est discriminatoire[6] et qu’elle viole la Constitution.

En 2021, le Grand conseil a demandé au Conseil d’Etat de mettre fin immédiatement à ces pratiques fiscales injustes et discriminatoires à l’égard des femmes. Le projet de modification de loi propose d’abroger la co-solidarité fiscale au 1er janvier 2026, avec effet rétroactif au 1er janvier 2025.

La ministre des finances Valérie Dittli a déclaré devant le Grand Conseil qu’elle exclut toute rétroactivité de la fin de la solidarité fiscale, au motif qu’elle serait « contraire à la sécurité et à la prévisibilité du droit », la rétroactivité devant être « raisonnablement limitée dans le temps et ne pas conduire à des inégalités choquantes ».

Or, le Tribunal fédéral a rappelé dans un arrêt de 2021[7] les principes à appliquer en cas d’inégalité de traitement[8] ou de discrimination[9]  :

  1. la Constitution exige que la discrimination soit éliminée d’une manière appropriée et dans un délai raisonnable ;
  2. il est justifié de prendre en considération le moment où la victime a contesté la discrimination pour la première fois ;
  3. il n’est pas insoutenable ni arbitraire de corriger cette discrimination depuis le moment où la victime l’a dénoncée.

Par conséquent, les arguments avancés par la Conseillère d’État Valérie Dittli pour exclure une rétroactivité dès 2014 ne sont pas applicables puisqu’il s’agit d’une modification de loi qui corrige une discrimination ; ils sont contraires à la jurisprudence qui prévoit expressément un effet rétroactif dès le moment où la victime a dénoncé pour la première fois cette discrimination. Par ailleurs ces arguments sont en contradiction flagrante avec le droit des personnes de faire réexaminer leur situation à l’aune de la nouvelle réglementation lorsqu’elles sont victimes de l’application d’une loi interdite par la Constitution[10].

C’est donc en toute légitimité que l’Association des Familles Monoparentales et Recomposées (AFMR), l’Association vaudoise pour les Droits des Femmes (ADF) et Pro Familia Vaud revendiquent unanimement la rétroactivité dès 2014, soit dès le moment où Me Yves Noël a dénoncé pour la première fois la discrimination en question[11].

Lausanne, le 17 mars 2025

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[1]    Réponse du Conseil d’Etat au Grand Conseil à la simple question Muriel Thalmann – Co-solidarité fiscale – combien de cas dans le canton de Vaud ? (23_QUE_36) – Texte adopté par CE – R-CE QUE Thalmann 23_QUE_36 – publié

[2]   Avocat fiscaliste et Professeur de droit fiscal à l’Université de Lausanne.

[3]   Arrêt TF 2C_723/2015, consid. 4.

[4]    Le logiciel de perception de l’Administration Cantonale des Impôts (ACI) recense une poursuite « solidaire » lorsque la réquisition de poursuite est requise contre le second membre du couple « appelé en solidarité ».

[5]    525 poursuites « solidaires » ont été adressées entre 2019 et 2021 à des personnes séparées ou divorcées (162 en 2019, 173 en 2020 et 190 en 2021) dont 510 à des femmes et 15 à des hommes, soit 97 % de femmes.

[6]    Il y a discrimination indirecte fondée sur le sexe lorsqu’une loi, « apparemment neutre » touche de manière disproportionnée des personnes d’un sexe donné. Humanrights.ch- Solidarité fiscale entre (ex)époux: la loi vaudoise discrimine les femmes

[7]   TF 8C_504/2020 du 24 juin 2021

[8]   art. 8 al. 1 Cst.

[9]   art. 8 al. 2 Cst.

[10]  La discrimination directe et indirecte est formellement interdite tant par la Constitution (art, 8 al.2 Cst)

[11] Arrêt TF 2C_723/2015, consid. 4.